Le sol et la vie en symbiose - Un modèle de société ?

Que nous raconte le sol ?

Les pieds sur terre

Le sol est la 'base' de notre vie; il nous rappelle l'importance de garder 'les pieds sur terre' et que nous ne mangeons que parce que nous avons 'mis les mains dans la boue'. Le spécialiste des sols, Marc-André Selosse dit que le sol est 'l'origine de la Vie'[1]. Nous l'avions un peu oublié, tant nous savons faire pousser des tomates sans le moindre sol et créer de la viande 'in vitro'.

Notre réalité est aussi devenu anxiogène. Beaucoup d'entre nous la fuient. En prenant des drogues avec la complicité de notre médecin, en vivant dans le virtuel, le méta, sur Insta ou TikTok où nous créons de toutes pièces une personnalité que nous faisons passer pour nous. Ou nous surfons sur Telegram dans des groupes cooptés pour échapper au mainstream qui fait trop peur. Mais la Terre nous rappelle à elle quand elle tremble ou quand elle devient stérile et sèche … Sans Gaïa, sans la boue, la pourriture et les microbes, toute vie disparaît. Et sans le sang, les pleurs et la souffrance personne d'entre nous est né.

Alors, c'est quoi le sol ?

Le sol est à la fois le support et le produit de la vie. Support puisqu'il apporte les aliments et l'eau aux plantes. Produit puisqu'il est formé par la vie, par la décomposition de la roche mère et des 'déchets' des plantes, fungi, bactéries, animaux (corps morts et feuilles, excréments etc.). Qui plus est, le sol est plein de vie, il 'est' vie ; ainsi il contient plus de la moitié de la biomasse vivante sur la terre. Techniquement, le sol (la Pédosphère) est la couche entre la Biosphère et l'Atmosphère. Dit simplement, il est la couche entre les roches et l'air.

Des débuts difficiles

Merlin Sheldrake, un biologiste anglais spécialisé dans la vie du sol résume les débuts de la vie sur la terre ferme ainsi: « Il y a environ 600 millions d’années, des algues vertes commencèrent à quitter des étendues peu profondes d’eau douce pour s’établir sur la terre ferme. Ces algues sont les ancêtres de toutes les plantes terrestres. L’apparition des plantes transforma notre planète et son Atmosphère, et ce fut l’une des transitions fondamentales de l’histoire du vivant, une véritable rupture dans l’innovation biologique »[2] .

Mais avant cela, il y avaient les bactéries et fungi qui avaient commencé à décomposer les roches, en les 'mangeant' de l'extérieur (sans les ingurgiter) par un procédé ingénieux .

Quand ensuite les algues arrivent sur la terre ferme, leur survie était compromis puisque le climat trop sec et les rayons solaires (UV in notamment) trop puissants. Elles ont alors créé un 'partenariat' ; algues, fungi et bactéries formèrent une nouvelle forme de vie symbiotique. Il s'agit des premiers lichens, des organismes qui peuvent survivre dans des conditions extrêmes. On dit qu'ils sont extrêmophiles. Ces lichens ont, avec les bactéries déjà présents avant, formé une fine couche de sol en décomposant la roche (créant ainsi du matériel minéral) et en étant eux-mêmes décomposés (ce qui forme le matériel organique).

Pour rester encore près des roches, celles-ci ont été, et sont toujours, décomposé par·

• l'action de l'eau (par un process mécanique -infiltration d'eau qui gèle et dégèle et fait ainsi 'cracker' la roche- ainsi que par un process chimique par l'acide que contient l'eau et qui fait diluer certains types de roche)

• les bactéries (digestion 'par l'extérieur à travers un process d'oxydation)

• les lichens (par un process chimique en sécrétant des acides - et par un process mécanique en introduisant leurs filaments dans les fentes de la roche)

• l'action mécanique des radicelles de premières plantes

Un process toujours plus vite

Une fois la petite couche de sol présente, les plantes peuvent conquérir la terre. Se faisant elles produisent de l'oxygène par la photosynthèse. Ceci a permis par la suite l'émergence de la vie animale.

Ensuite, un l'écosystème, les écosystèmes deviennent de plus en plus riche:

• plantes, fungi, insectes et autres animaux y vivent (dans, sur et au-dessus)

• ces organismes se mangent, s'entraident, développent des relations symbiotiques etc.

• les plantes créent également de l'oxygène (ce qui permet l'émergence d'animaux qui respirent) ainsi que des sucres et du carbone (dont elles ont besoin, mais qui sert également aux champignons avec qui elles vivent en symbiose)

• toutes sortes d'organismes décomposent ensuite le matériel organique mort jusqu'à ce qu(il ne restent que des molécules minérales (azote, nitrates, ...) et gazeuses (dont l'oxygène dont profitent des petites bêtes qui respirent dans le sol

• ceci créé également un sol toujours plus épais et ...

• un stock de carbone (qui n'est alors plus dans l'air, ce qui aide à ralentir de réchauffement climatique

Encore quelques mots sur les 'partenariats'

71% des plantes ont développé des formes d'endomycorhize ; il s'agit de l'association des plantes avec des glomerromeycetes (une famille de fungi). Ici le fungus s'introduit dans la plante (endo-, du Grec endon = dans, à l'intérieur) et fait développer ses hyphes (le mycélium) pour chercher des nutriments, à la place des racines

2% des plantes ont développé des formes d'ectomycorrhizal ; ici le fungus ne s'introduit pas dans la plante (ecto- du Grec ektos = à l'extérieur). Il enveloppe les racines et il les aide en secrétant de l'auxine, une hormone végétale qui stimule le développement de radicelles (racines secondaires).

L'endomycorhize est une forme de 'partenariat' très efficace qui rend possible d'aller chercher les nutriments très loin (jusqu'à 9 kilomètre autour de l'arbre), mais également des substances phytosanitaires (antibiotiques et autres 'médicaments' dont a besoin l'arbre). Et, probablement inattendu, le fungus peut également dépolluer le sol (même des hydrocarbures, des mégots de cigarette, des pesticides et de la radioactivité).

Le sol est un réservoir de biodiversité

Enfin, il y a une présence significative de vie dans le sol. On pourrait dire que le sol 'vit'. Il est constitué de nombreuses structures spatiales emboîtées qui permettent la coexistence de très nombreux organismes de tailles très diverses et qui fait du sol un réservoir unique de biodiversité microbienne, animale et végétale On l’appelle également 'matière organique vivante'. « Tout ce monde-là établit des relations d’entraide, de lutte ou de prédation et de parasitisme : en fait, c’est un écosystème complexe. D’ailleurs, l’écosystème terrestre est avant tout… le sol. Ses chaînes alimentaires nées de microbes, aboutissent jusque vers la surface du sol, où taupes, rongeurs et oiseaux venus picorer des vers les couronnent… » [4].

Ainsi le sol représente 26% de la biodiversité connue (sachant que nous ne connaissons que 1% des organismes dans le sol) et 50 à 75% de la biomasse vivante.

Espoir

1. Les sols ont été enrichis sur des millions d'années et on y trouve une grande partie de la vie sur terre. Nous ne pouvons donc pas 'créer le sol'. Nous pouvons par contre 'prendre soin' et 'améliorer' en y abandonnant ou ajoutant de la biomasse. Ce faisant, nous participons aussi au stockage du carbone et donc à la lutte contre le réchauffement climatique

2. Les sols nourrissent les plantes et les animaux (et donc indirectement nous)

3. Certaines formes de vie que nous trouvons dans le sol peuvent dépolluer comme on a vu

4. Nous avons vu des formes de 'partenariat' (symbiose) qui ont permis aux fungi de survivre à plusieurs extinctions de masse - ne serait-ce pas un modèle pour une société résiliente ?

Pour une présentation plus en détail, vous pouvez visionner des conférences ou enseignements d'André Selosse sur le net. Par exemple : Fonctionnement biologique du sol

Ou celle-ci:

Ou bien sûr lire son livre 'L'origine du monde', paru chez Actes Sud.

[1] ‘L’origine du monde. Une histoire naturelle du sol à l'intention de ceux qui le piétinent’, Marc-André Selosse, Eds. Actes Sud, Paris, 2021

[2] ‘Le Monde Caché. Comment les champignons façonnent notre monde et influencent nos vies’, Merlin Sheldrake, Eds. Pocket, Paris 2021, p 175

[3] Voir Selosse, 2021, plus spécialement le chapitre ‘La vie palpitante du sol’, p 91 - 117

[4] Selosse, 2021, p 117