Les arbres vivent en réseau

Découvrez ce que la dendrologie, la biologie des arbres, dit de leur vie. Plongez dans le monde des arbres et du mycélium et découvrez un modèle de société.

ARBREBIOLOGIE

Lambert van Dinteren

1/27/20247 min lire

Vivre 'en relation'

Pour beaucoup d’entre nous, les arbres sont une évidence. On les trouve dans les jardins et les parcs de la ville, ils forment les bois et forêts, mais ça s’arrête là. On admire leur esthétique, on est reconnaissant de leur ombre, on sait qu’il faut les respecter pour leur action sur le CO2 et leur apport en oxygène, mais c’est tout.

Une petite minorité « embrasse » les arbres. Sur internet on trouve une offre de sylvothérapie. Il y en a aussi qui suivent un « zodiaque des arbres »[1] pour établir leur horoscope ou qui vivent avec « l’année celtique des arbres ». Mais c’est une exception et on ne sait pas toujours bien à quoi cela correspond[2].

Alors, il est pertinent de se poser d’abord les questions basiques : C’est quoi un arbre ? Comment vit un arbre ? Quel est son rôle dans l’écosystème ?

La réponse la plus importante à apporter c'est que l’arbre est par excellence une espèce qui vit ‘en réseau’ [3].

L’arbre ‘est’ lui-même réseau :

  • Il est un ensemble de racines, d’écorce, de bois, de branches, de bourgeons et/ou de feuilles ; chaque partie joue un rôle pour l’ensemble et est servie par l’ensemble - mais les branches sont aussi relativement autonome et 'peuvent décider' de débourrer ou de laisser tomber les feuilles à des moments qui diffèrent des autres branches

  • L’arbre a un ensemble d’organes ; stomates foliaires, poils racinaires, xylème

  • Il est fait d’osmose, de pression radiculaire, de capillarité, d’aspiration foliaire, de transpiration, de diffusion afin de permettre à la sève de monter et de descendre et de servir ainsi l’ensemble des éléments qui constituent l’arbre d’eau, de sucres et de carbone ou encore d’agents chimiques répulsifs

L’arbre ‘vit’ également dans un réseau :

  • L’arbre fait partie d’un écosystème qui permet à des milliers d’autres espèces (végétales et animales ou encore fongiques, bactériennes, ou virales) de vivre

Ainsi, il y a des animaux qui font leur nid dans les branches de l’arbre (troglodyte mignon, mésange, pie, etc.), d’autres qui creusent un trou dans le tronc (pic) ou qui utilisent les trous des autres (écureuil, pigeon, chauve-souris). Il y en a d’autres, petits, qui utilisent les fissures dans l’écorce pour s’abriter (araignées). Il y a des animaux qui trouvent des fruits (glands, faines, pommes, …) dans et sous l’arbre, des insectes dans son écorce ou dans l’humus à ses pieds, des lichens à brouter sur son écorce ou encore de la sève à sucer en dessous. L’arbre représente ainsi la ‘maison’ et la ‘cantine’ de ces animaux.

mycélium
mycélium
racines d'un arbre
racines d'un arbre

En conséquence :

  • L’arbre coupé de son réseau a du mal à vivre ; il lui manque plus régulièrement de l’eau ou des nutriments ou encore des ‘médicaments’. Il lui manque aussi les avertissements d’approche d’insectes qui attaquent les arbres.

  • Et les autres membres du réseau disparaissent en absence d’arbre (quand il n’y a plus de humus formé par ses feuilles, quand il n’y a plus de lieu où faire son nid, quand il n’y a plus de feuilles à dévorer, d’insectes à picorer dans les fentes de l’écorce …).

Si l’on 'pense' notre société, cette vie ‘en réseau’ pourrait représenter un modèle très puissant. En effet, nous savons, comme les plantes et les champignons, que ‘vivre seul’ rend plus fragile. L’humanité à justement ‘créé société’ pour être plus fort ensemble. Et face à des grandes menaces comme nous vivons aujourd’hui, vivre en société, en réseau est plus que jamais nécessaire.

Ce qui est intéressant avec les réseaux mycorhyzes (du grec ancien : múkēs = champignon et rhíza = racine) :

  • Ils sont acéphales (du grec ancien : akhephalos – a = sans kephalê = tête) – c’est un ensemble ‘sans tête’, ‘sans chef’

  • Le réseau se croise et s’entrecroise, ce qui fait que l’information ou la ressource peut aller dans tous les sens – il n’y a pas question d’un processus linéaire, ce qui permet de faire des détours quand on est bloqué, ce qui permet aussi de créer des liens nouvelles (pas planifiés) et donc beaucoup de créativité, ….

  • Le réseau peut aller très loin (un réseau mycélaire peut atteindre 9km) pour chercher des ressources – ce qui permet de pallier des manques importants.

Autant d’éléments à reprendre dans une philosophie politique. On en reparlera une autre fois. Pour l’instant, on peut vous recommander de lire le livre de Merlin Sheldrake, 'Le Monde Caché' .

Peut-être encore une dernière chose; si on voit combien d'animaux trouvent leur espace de vie dans et sous l'arbre, on voit tout un ensemble qui sait 'faire place à l'autre'. Encore un élément qui serait à reprendre dans une philosophie qui pense la société. On le fera dans un autre billet (post).

Pour en savoir un peu plus, voici un vidéo avec Peter Wohlleben sur son livre 'La Vie secrète des Arbres'

[1] Par exemple : La sylvothérapie - Les bienfaits de la sylvothérapie - Auprès de mon arbre (aupresdemonarbre.org)

Par exemple : Le Zodiaque des Arbres, Didier Colin, Eds. Edition1, 2004

[2] ‘De quelles preuves scientifiques disposons nous concernant les effets des forêts et des arbres sur la santé et le bien-être humains ?’, Kjell Nilsson et al., dans Santé Publique 2019 / HS1 (S1), pages 219 à 240

[3] Nous nous basons sur

  • ‘La Vie Secrète des Arbres. Ce qu’ils ressentent. Comment ils communiquent’ (Peter Wohlleben (2015))- Peter Wohlleben est un forestier allemand, actuellement en charge d’une forêt écologique. Wohlleben fait un état des recherches actuelles et les lie à son expérience de forestier.

  • ‘Être un Chêne. Sous l’écorce de Quercus’ (Laurent Tillon (2021)) - Laurent Tillon est un français, biologiste et ingénieur forestier à l’Office National des Forêts. Dans ce livre, Tillon suit un chêne, en lui donnant la parole, sur deux siècles en France de Henri IV à nos jours, et montre aussi bien la vie de l’arbre que ses interactions avec son habitat et les influences des évolutions dans la société sur les arbres.

  • ‘A la recherche de l’arbre-mère. Découvrir la sagesse de la forêt’ (Suzanne Simard (2021)).- Suzanne Simard, chercheuse en écologie forestière à l’Université de Colombie-Brittanique (Canada), raconte en forme autobiographique ses découvertes sur la vie des arbres.

  • ‘Le monde caché. Comment les champignons façonnent notre monde et influencent nos vies’ (Merlin Sheldrake (2021)).- Nous avons déjà vu ce livre dans le chapitre précédent.

  • ‘Les écosystèmes’, dans ‘Livret sur l’environnement 2020’ (Institut de France, Académie des Sciences) (Henri Décamps (2020)) - On l’a déjà vu plus haut.

  • ‘Le pouvoir caché des arbres’ (Thierry Beaufort (2020)).- Il s’agit là d’un livre pour la découverte des arbres en famille. On en trouve d’autres dans les librairies ou les bibliothèques.

  • L’arbre joue aussi un rôle en enrichissant le sol, notamment quand à l’Automne, il laisse tomber ses feuilles. Toute la richesse d’azote et de carbone (entre autres éléments) retourne à la terre et va former l’humus. Ce retour à la terre ne se fait pas tout seul ; toute une batterie de micro-organismes (bactéries, virus, myriapodes, nématodes, collemboles, champignons, lombrics, crustacés, gastéropodes) est nécessaire pour cette transformation. Et c’est d’autant d’espèces qui en vivent. En passant (en mangeant), des lombrics forestiers perforent sans relâche l’humus, ce qui permet l’oxygène, dont ont besoin la plupart des organismes qui y vivent, de circuler.

Ces micro-organismes servent ensuite comme nourriture pour des coléoptères, des araignées prédatrices, des taupes ou des oiseaux. Les mêmes qui servent à leur tour à des oiseaux plus grands, des renards et autres prédateurs. Tout une chaîne alimentaire s’y développe et s’y maintient.

  • L’arbre est un agent clé dans l’écosystème Terre ; il diffuse notamment l’oxygène dans l’air, il capte le CO2 et le stocke dans la biomasse à ses pieds

  • Il est le partenaire des autres arbres dans l’écosystème d’une forêt avec qui il échange carbone, azote, antibiotiques et informations

Il faudrait prendre plus de temps pour cela, on le fera dans un autre billet (post), mais en gros, l’arbre est en lien avec d’autres arbres via le mycélium. Le mycélium, le blanc des champignons, les filaments que l’on trouve dans le sol, transporte des aliments, des molécules phytosanitaires et des messages. Et il en profite pour prélever une partie des sucres transportés (le champignon qui n’a pas de chlorophylles et ne peut donc pas lui-même ‘fabriquer’ des sucres).

  • Il est un partenaire privilégié du mycélium, comme on a brièvement vu, à qui il fournit des sucres tandis que le mycélium apporte des oligo-éléments ainsi que des substances qui renforcent l’immunité.

C’est ici que le terme ‘réseau’ est le plus parlant, puisque dans le sol on trouve un ensemble très important de racines et radicelles ainsi que de hyphes (les filaments des champignons), qui se croisent et s’entrecroisent et qui communiquent dans tous les sens.

mycélium