Masculin et féminin, une approche écoféministe
Nous proposons ici une réflexion sur la place toujours plus restreinte pour la femme et le féminin dans la société comme dans la religion, ce qui va de pair avec une exploitation toujours plus importante de la Terre. Nous mettons en face une approche écoféministe.
PHILOSOPHIEFEMME
Lambert van Dinteren
2/5/20248 min lire
Nous sommes arrivés à ce moment du film où tout peut basculer, le suspense est total : allons- nous tomber dans l’abîme qui s’est ouvert devant nous, ou arrivera-t-il de quelque part une aide miraculeuse ? Dans les films on sait que le héros est toujours secouru malgré les images alarmantes, la musique angoissante, l’évidence de la fin fatale, l’improbabilité du sauvetage. Mais sommes-nous les héros du film ‘Histoire de la Terre’ ?
Depuis le Néolithique l’homme s’est en effet pris pour le génie du monde. C'était tout à fait nouveau cette anthropocentrisme, ce que Jean Guilaine appelle ‘l’autoglorification’[i]. Désormais l'homme se considère comme le héros et il érige des grands statues à son effigie.
Jusqu’à là, l’être humain compose avec la Nature, infiniment plus grande et plus puissante que lui. Il la craint et respecte. Il y voit une image de la mère qui fait naître et reprend la vie, qui nourrit et fait souffrir de famine, qui prend soin et punit. Il doit se démener pour en prélever ce dont il a besoin ; les femmes cueillent les fruits et graines, déterrent les racines et les hommes chassent les animaux[ii]. Mais déjà, cette chasse peut déraper et se transforme parfois en extinction d’espèces[iii].
Toutefois, le vrai changement a lieu quand les humains commencent à domestiquer les animaux et la terre. Ils se comportent désormais comme maître de ‘leurs’ (!) terres, soumettant la terre avec bèche et charrue, avec chevaux de trait et tracteurs, avec fertilisants organiques, puis chimiques et pesticides.
Un deuxième changement a lieu quand les humains passent d’une agriculture extensive dont se chargent les femmes à une agriculture intensive avec accumulation de stocks et introduction du commerce, et que d’un même mouvement l’agriculture devient une affaire d’homme (les femmes restent désormais à la maison)[iv].
Ceci prend encore un tournant au moment de l’introduction de l’agriculture industrielle, à partir de la fin du XIXe siècle.
Mais il n’y a pas que l’agriculture, il y a également la révolution industrielle, les villes toujours plus grandes, les routes et voitures, … aussi bien que nous avons modifié profondément, globalement et durablement la surface de la Terre, les écosystèmes de la Biosphère, la composition de l’Atmosphère. Nous parlons aujourd’hui d’une nouvelle ère géologique ‘l’Anthropocène’, l’ère de l’anthropos, l’humain. Nous voilà maître de l’Univers. Et … au bout du gouffre.
Tout ce qui nous a permis de maîtriser notre environnement, nous a menés à ce moment où notre succès semble inaugurer notre perte. La planète se réchauffe inexorablement, le niveau de la mer monte imperceptiblement mais avec constance, les forces de la Nature se déchainent, la terre dessèche, les forêts brulent, l’air est par endroit irrespirable, la nourriture contaminée par des pesticides et métaux lourds …
Peu de scénaristes voient comment faire venir un dénouement favorable au suspens du film. Puisque nous ne sommes pas les ‘héros’ que nous nous étions inventés. Nous ne sommes pas ce que nous racontons dans nos mythes, pas au-dessus de tout le Vivant et ‘à l’image de Dieu’[v]. Nous voilà face à cette terrible vérité que nous ne sommes que tout petits, que nous sommes ni plus ni moins que ‘des parties prenantes de la Nature’, ‘soumis’ à ses règles.
A travers toute l’histoire d’homo sapiens, nous voyons une tendance à la domination. Domination des femmes par les hommes d’abord[vi]. La différentiation des sexes et la domination masculine semble précéder notre espèce. On le retrouve déjà chez les grands singes. Au début, cette domination était encore relative comme homme et femme étaient ensemble responsables pour leurs petits et la survie de leur petite famille. La domination n’a ensuite cessé de s’accentuer pour arriver à son climax dans la famille communautaire patriarcale. Ce qui est intéressant, est de voir que la domination de la Nature par l’homme suit le même chemin. Nous l’avons vu plus haut.
Si nous regardons ensuite l’histoire des croyances des humains, nous voyons un même mouvement de déclin du féminin. Les spécialistes pensent comprendre qu'aux débuts de l'humanité, il y a eu une prépondérance du féminin. Même si nous ne pouvons pas parler d’une ‘religion de la Déesse’, le féminin était probablement très présent. D’abord comme Terre-Mère. On voit par exemple un très ancien mythe sur l’Origine de l’humanité comme Emergence de la Grotte[vii]. Mais cette compréhension ‘au féminin’ disparaît petit à petit. Le mythe sumérien-babylonien Enuma Eliš, Epopée de la Création du XIIe siècle avant notre ère, raconte explicitement comment l’ancien couple de divinités Apsû-Tiamat a été remplacé par d’autres divinités, notamment Enki, Marduk, qui étaient … des dieux. Les anciens dieux primordiaux, dieux de la Nature, ont ainsi été substitués par des dieux plus ‘civilisés’ et presque uniquement masculins. Le mythe va aussi loin que de raconter comment Marduk, après avoir tué la déesse Tiamat, sa mère et mère de toute chose, crée le monde en découpant son corps.
Se dessine alors un développement parallèle entre ·
la domination de la femme par l’homme toujours plus prégnante (famille nucléaire où les parents sont plus ou moins égaux puisque ensemble responsable pour leurs enfants vulnérables >>> famille souche patrilinéaire qui privilégie le fils aînée pour ne pas disperser les richesses >>> famille communautaire patrilinéaire où tous les fils restent avec le père et où les femmes doivent se soumettre à cette organisation androcentrée)
la disparition de la déesse (Mère-Terre >>> Grande Déesse >>> Déesses de toutes sortes mais toujours dans des rôles subordonnés)
la maîtrise de la nature par l’homme toujours plus importante (prélèvement restreint sur les ressources naturelles (baies, racines, feuilles, eau, insectes, animaux) >>> agriculture extensive pour subvenir aux besoins – les femmes sont responsables >>> agriculture intensive tournée vers une économie d’échange, de commerce (avec constitution de stocks et accumulation de richesses) - les hommes sont responsables
les inégalités sociétales grandissantes (égalité entre tous les membres du clan >>> cumul de richesses dans certaines familles >>> création de royaumes avec une concentration des richesses dans les mains des rois et commerçants)
Louis Ansa, penseur et chamane du fin du XXe-début XXIe siècle, parle d’une culture dominante masculine, convexe, pénétrante, conquérante[viii]. Il s’agit d’une manière de penser et d’agir qui ne voit pas les choses comme elles sont, mais qui réduit ce qu’il voit à l’idée (utilitaire) qu’il s’en était fait. Une action qui colonise le monde dans son intérêt, qui domine la Terre, exploite la Nature. Et nous voyons aujourd’hui où cela nous mène.
Il faut être honnête, cette manière de faire nous a apporté beaucoup de choses, une certaine sécurité, un confort indéniable loin de la vie dure de nos ancêtres paléolithiques, et nous aurons, face aux problèmes d’aujourd’hui, besoin de tout ce que la science peut apporter comme compréhension des choses, de toute solution technique possible et imaginable, de la force aussi, de protection et défense. Mais nous savons aussi que seul, ceci ne peut que nous mener à l’abysse devant laquelle nous nous trouvons.
Nous avons donc besoin du féminin, du concave, de l’accueillant, du résiliant. Une manière d’agir et de faire qui est avant tout ‘une manière d’être’ et seulement après une manière d’intervenir. Une intervention qui respecte l’autre, une exigence qui comprend l’autre, un conseil qui prend en compte l’autre … Quand bien même les femmes ne sont pas à identifier à leur rôle de mère et au ‘care’, il s'agit quand même d'un formidable atout d’avoir appris en plus de 300.000 ans de soins pour ses enfants vulnérables, comment ‘prendre soin’. C’est absolument ce dont nous avons besoin aujourd’hui ; prendre soin de la Planète, prendre soin les uns des autres.
Ce qui plus est, nous avons surement à oublier cet image de la femme douce, serviable, soumise. Ce n’est pas ça, être femme, être mère. Quand nous plongeons dans la vie des femmes paléolithiques, quelle force extraordinaire cela a demandé d’élever et protéger leurs enfants ; quand nous réfléchissons au ‘travail’ que représente ‘donner naissance’, cette force primordiale qui permet de passer à travers toutes les souffrances pour que l’enfant passe le canal de naissance ; quand nous lisons les anciens mythes sur des déesses souvent féroces, Forces de la Nature ; quand nous regardons la Nature comment elle peut être sans merci mais vivifiante …. femme et féminin riment avant tout avec Force. Et là encore, nous en avons énormément besoin.
Il me semble évident que nous devons équilibrer le masculin par une bonne dose de ce féminin qui est à la fois 'soin' et 'force'. Il faut faut apprendre à vivre différemment avec la Terre, avec les plantes, champignons, bactéries, avec nos frères et sœurs animaux non humains, avec nos frères et sœurs animaux humains. Il faudra apprendre à 'être'. Apprendre le concave, l'accueillant, le résilient. Et c’est une question des femmes et des hommes. Même si très certainement la plupart des femmes est plus douée, c’est aussi à nous hommes, d’apprendre cette féminité. Ce n’est peut-être que cela qui va pouvoir nous sauver dans ces temps de tous les dangers.
[i] Guilaine, Jean (2015), ‘La seconde naissance de l’homme. Le néolithique’, Eds. Odile Jacobs, Paris, p 136-138 et 140
[ii] Cette répartition n’est pas une invention de chercheurs misogynes, mais est actuellement accepté comme un fait par l’ensemble des scientifiques. Comp. Lahire, Bernard (2023), ‘Les structures fondamentales des sociétés humaines’, Eds. La Découverte, Paris et Todd, Emmanuel (2022), ‘Où en sont-elles. Une esquisse de l’histoire des femmes’, Eds. Seuil Paris. Il semble que ceci est la conséquence culturelle d’une contrainte biologique, l’altricialité secondaire (le fait que chez les animaux-humains les enfants se développent pendant de longues années hors-utérus, étant extrêmement vulnérables pendant ce temps et que les femmes sont obligées à les porter et allaiter.
[iii] Harari, Yuval Noah (2011), ‘Sapiens. A Brief History of Mankind’, Vintage, London, p 80 et Reeves, Hubert, ‘Là où croît le péril, … croît aussi ce qui sauve’, Eds. Points, Paris, p 63 – 109
[iv] Todd (2022),p 167
[v] Genèse 1, 26 : « Dieu dit : ‘Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre’ ».
[vi] Voir les deux monographies récentes de Lahire et Todd déjà mentionnées.
[vii] Voir notre post ‘La Force Primordiale de la Terre-Mère’ ainsi que le post ‘’Trouver l’espoir dans les origines de la Vie’, dans la section ‘Le Sol’ du Blog.
[viii] Voir Ansa, Luis (2015), ‘La Voie du Sentir’, Eds. du Relié, 2015, Paris

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